Délais de paiement : à quoi faut-il s’attendre en 2025 ?
À partir du 1er janvier prochain, les entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 2 et 10 millions de dirhams seront les dernières assujetties à la loi 69-21 relative aux délais de paiement. Elles viendront alors parachever une approche d’application progressive et une démarche d’accompagnement qui, en tenant compte de la pluralité du tissu économique national, sert aujourd’hui de benchmark pour la mise en place d’autres réglementations fiscales à venir.
C’est la troisième et dernière phase d’entrée en application de la nouvelle loi 69-21. À partir du 1er janvier 2025, les entreprises réalisant un chiffre d’affaires compris entre 2 et 10 millions de dirhams devront se conformer aux nouvelles dispositions réglementaires en vigueur depuis juin 2023 en matière de délais de paiement. Les grandes entreprises au chiffre d’affaires supérieur à 50 millions de dirhams ont été les premières concernées, et ce dès le mois de juillet 2023. Six mois plus tard, et précisément à partir du 1er janvier 2024, ce sont les entreprises présentant un niveau de chiffre d’affaires intermédiaire compris entre 10 et 50 millions de dirhams qui se voyaient soumises à la nouvelle réglementation.
Cette progressivité dans l’application de loi a été un des éléments les plus salués par les observateurs et experts du domaine. En laissant plus de temps aux entreprises de taille moyenne et aux PME et TPE de préparer leur adaptation à la nouvelle réglementation, en mettant notamment à jour leur paiements, le législateur a démontré tout le soin pris à ne pas bousculer des pratiques commerciales et fiscales ancrées dans les habitudes des opérateurs et de privilégier plutôt une logique d’accompagnement plus souple, en prenant soin de « ménager » les petites structures. Une attention nécessaire tant les PME et TPE ont été pendant longtemps les premières victimes du non respect des délais de paiement et surtout de l’impunité qui a laissé proliférer des pratiques commerciales néfastes pour leur trésorerie, allant jusqu’à menacer leur pérennité et leur existence.
Une recherche d’équilibre…
Dans une économie où les crédits interentreprises ont, des décennies durant, grevé considérablement les performances de l’économie nationale et fragilisé l’environnement des affaires, la promulgation en 2023 de la loi 69-21 a sonné le glas d’un laxisme qui n’avait que trop duré.
Elle a d’abord posé une règle claire valable pour toutes les transactions commerciales et tous les opérateurs, publics comme privés (tant que l’acte commercial a eu lieu), à savoir : 60 jours si le délai n’est pas convenu entres les parties et 120 jours s’il l’est, la date d’émission étant fixée à compter, au plus tard, du dernier jour du mois de livraison de la marchandise ou de l’exécution de la prestation. La loi a ensuite prévu des sanctions en cas de non-respect de cette règle. Avec ces nouveaux éclaircissements, la loi 69-21 a ainsi parachevé l’arsenal juridique mis en place en 2012 par la loi 32-10. Cette dernière avait certes établi une obligation de respect des délais de paiements entre commerçants dans le cadre de leurs transactions, mais elle n’avait pas été assez dissuasive pour garantir le respect de cette obligation, puisqu’il revenait toujours au prestataire, souvent une PME ou TPE, d’exiger une indemnisation à son client, là aussi, souvent une grande entreprise. Le rapport de force était pour le moins biaisé.
En rendant également obligatoire une déclaration trimestrielle à déposer par voie électronique par les entreprises avant la fin du mois qui suit chaque trimestre, même dans le cas d’absence de retard de paiement, la loi 69-21 a laissé clairement entrevoir l’inflexibilité des autorités compétentes face aux mauvais payeurs et mis ainsi fin au rapport de force grandes entreprises (clients)/ petites entreprises (fournisseurs/prestataires) souvent favorable, en matière de délais de paiement, aux premières. De ce point de vue, on peut dire que dans l’esprit du législateur, la loi 69-21 soutient clairement les PME et TPE.
Le législateur a même doublé de rigueur pour démontrer sa volonté de veiller directement au respect de la loi, en instaurant comme mesures dissuasives favorables à la viabilité financière des petites entreprises, toute une batterie de sanctions et des amendes en cas de non conformité à la loi. Et les sanctions sont assez conséquentes pour représenter un effet dissuasif certain. Deux types de sanctions ont été introduits par la loi 69-21. D’abord, en cas de non respect des délais, l’opérateur débiteur doit s’acquitter d’une amende indexée sur le taux directeur de la Bank Al-Maghrib pour le premier mois de retard, augmentée d’une pénalité de 0,85% par mois ou fraction de mois de retard supplémentaire. À noter que pour ce premier type d’amende n’est pas applicable aux factures émises avant le 1er janvier 2025, dont le montant n’atteint pas 10.000 dirhams HT.
Ensuite, en cas de retard ou de non-dépôt de la déclaration trimestrielle, les sanctions pécuniaires sont ventilées en fonction de la taille de l’entreprise en termes, bien entendu, de chiffre d’affaires : 5.000 dirhams si le chiffre d’affaires (CA) est de 2 à 10 millions de dirhams ; 12.500 dirhams s’il est compris entre 10 et 50 millions de dirhams ; 50.000 dirhams pour les CA entre 50 et 200 millions de dirhams ; 125.000 dirhams quand le CA est entre 200 et 500 millions de dirhams ; et, enfin, 250.000 dirhams si le CA est supérieur à 500 millions de dirhams. S’y ajoute, une amende de 5.000 dirhams qui s’applique à chaque facture manquante ou contradictoire.
… Et une approche qui porte ses fruits
Dans l’essence même de la loi donc, mais également dans son application, la recherche d’équilibre dans la loi 69-21 a été ainsi, à bien des égards, favorable aux petites entreprises. Et il semblerait que cette approche ait commencé à porter ses fruits. Dans son récent rapport publié en juillet 2024, l’Observatoire des délais de paiements (ODP) a relevé, sur la base des données récoltées durant l’année 2023, plus précisément sur les troisième et quatrième trimestres de l’année (les deux premiers mois d’application de la loi entrée en vigueur le 1er juillet), « des progrès satisfaisants et des effets positifs pour réduite les délais de paiements », qui lui permette de conclure sur « une réduction significative des délais de paiements ». Pour autant, nombre d’experts et d’observateurs pensent que cette loi, bien qu’essentielle, est encore perfectible. Son application aux deux premières populations d’entreprises laisse entrevoir quelques axes d’amélioration qui pourraient à l’avenir alimenter le débat autour de cette loi fondamentale pour l’assainissement du climat des affaires.
L’année 2025 sera, de ce point de vue, cruciale , puisqu’avec l’achèvement de la troisième phase d’application, on pourra alors dresser un bilan et une analyse plus complète et exhaustive qui prennent en compte touts les acteurs concernés par les nouvelles dispositions sur les délais de paiements, indépendamment de leurs poids économiques ou tailles. Mais d’ores et déjà, la progressivité de l’approche et l’équilibre favorable aux PME et TPE semblent faire des émules : le législateur comme l’administration fiscale se fonde sur le succès de cette démarche pour planifier l’entrée en vigueur de prochaines réformes structurantes comme l’application de la facturation électronique qui ne fait pas l’unanimité, pour l’instant, auprès des PME et TPE en raison, notamment, du coût technique et financier qu’elles vont devoir supporter.