Facturation électronique : les choix forts du Maroc
Derrière l’accélération récente du projet de facturation électronique, le Maroc vise plus qu’une simple – bien qu’importante – modernisation de ses pratiques fiscales : la nouvelle plateforme digitale en cours de finalisation cristallise, à elle seule, la promesse de l’entrée du Maroc dans le cercle, d’année en année élargi, des économies numériques mondiales.

Derrière l’accélération récente du projet de facturation électronique, le Maroc vise plus qu’une simple – bien qu’importante – modernisation de ses pratiques fiscales : la nouvelle plateforme digitale en cours de finalisation cristallise, à elle seule, la promesse de l’entrée du Maroc dans le cercle, d’année en année élargi, des économies numériques mondiales.
Le compte à rebours est lancé. Depuis le 12 juin 2024 et la publication par la Direction Générale des Impôts (DGI) d’un appel d’offre pour « la mise en place d’un système de facturation électronique », experts, observateurs, médias, entreprises et acteurs économiques, tous ont les yeux rivés vers 2026. Cette année-là, le Maroc devrait, selon toute attente, entrer dans une nouvelle ère : le tout digital ! Et ce n’est pas une vue de l’esprit ou un exercice de style que de l’affirmer.
Grand projet de modernisation fiscale pour les uns, politique avisée de lutte contre la fraude fiscale pour les autres, le système de facturation électronique porté par la DGI est tout cela à la fois, et bien plus. Une plateforme numérique développée par une startup. 6,3 millions de dirhams investis, 12 mois de développement avant livraison, un décret d’application attendu, une progressivité de mise en œuvre espérée… Si l’on considère cette initiative au-delà de ces considérations techniques, législatives et organisationnelles, c’est toute une transformation en profondeur des pratiques commerciales au Maroc qui est en fait en jeu.
Modernisation des pratiques commerciales
Il faut dire que, dès le tout premier jour de son entrée en vigueur, la facturation électronique va créer un effet boule de neige dans les pratiques des acteurs économiques. Déjà quelque peu rompues à l’exercice ces dernières années, depuis notamment la généralisation de la télédéclaration et du télépaiement des impôts et taxes, les entreprises marocaines n’auront en effet d’autres choix alors que de renouveler, du moins mettre à jour leurs systèmes de gestion comptable et commerciale. Les plus grandes devraient être déjà prêtes, parce qu’elles seront sûrement les premières concernées, si la logique de progressivité poursuivie par l’administration fiscale dans ses dernières réformes est respectée. Les PME et les TPE n’auront, elles, que très peu de temps dans la foulée pour suivre le mouvement. Parce que disons-le clairement : grandes ou petites, il ne s’agit pas là seulement d’un pas de plus dans la dématérialisation déjà avancée des relations entre les entreprises et l’administration fiscale, mais il est question ici, dans une perspective plus large, d’une digitalisation complète des processus commerciaux des entreprises.
C’est tout l’enjeu du projet de facturation électronique : l’amorce aussi bien d’un changement radical de culture commerciale que la transformation des démarches fiscales. C’est en tout cas l’esprit de la réforme engagée par la DGI à travers son plan stratégique 2017-2021, où l’ambition de « devenir une administration de service, totalement numérique » figure en tête des orientations stratégiques. Une volonté à peine exprimée que la loi de finances 2018 était venue juste après entériner. « Les contribuables soumis à l’impôt sur les sociétés et à l’impôt sur le revenu (…) ainsi que ceux assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée, doivent se doter d’un système informatique de facturation qui répond aux critères techniques déterminés par l’administration », pouvions-nous lire dans son article 145-9.
Chantier phare
Bien que six années soient passées, il est fort à parier que la mise en place de la facturation électronique n’est que l’arbre qui cache la forêt d’une profonde transformation voulue et portée par la DGI en faveur de l’économie marocaine. Dans son plan stratégique 2024-2028, la facturation électronique est un chantier phare dans un plus vaste objectif stratégique, celui d’« exploiter l’intelligence numérique et moderniser l’architecture technologique », à travers la « mise en place de plateformes et de technologies numériques, modernes et sécurisées ».
L’énoncé ne laisse place à aucun doute : la bascule opérationnelle, attendue depuis 2018, est cette fois bel et bien déclenchée. Alors, même si 2026 peut paraître encore lointaine à l’horizon, et que le décret d’application qui permettra à tous d’en savoir un peu plus sur la nature du modèle de facturation électronique et ses modalités d’application n’est pas encore publié, les entreprises marocaines seraient bien avisées de s’y préparer dès maintenant. Surtout et en premier lieu les PME et les TPE qui disposent de nettement moins de latitude financière, technique et humaine que les grands groupes, pour se conformer aux multiples exigences d’une facturation électronique qui nécessite plus que l’acquisition d’un logiciel : il faut en plus adapter son système de gestion, adopter des technologies sûres, sécuriser ses données, former le personnel aux nouvelles technologies… Au risque de rater un train en marche qui, bien que très certainement à vitesse modérée au départ, pour laisser embarquer sereinement tous ses passagers, va rapidement accélérer sa marche.