Digitalisation & Tendances

Quels défis pour la facture électronique au Maroc ?

Le projet de facturation électronique représente une réelle rupture dans les pratiques des entreprises au Maroc. Apprécié à l’échelle humaine et au niveau organisationnel, c’est toute une transformation culturelle qui attend le tissu économique national.

Considérée dans sa dimension technique et technologique, le projet de facturation électronique représente une réelle rupture dans les pratiques des entreprises au Maroc. Apprécié à l’échelle humaine et au niveau organisationnel, c’est toute une transformation culturelle qui attend le tissu économique national.

L’administration fiscale marocaine en a souvent fait montre : elle sait engager des réformes d’envergure dans le temps long, de manière graduelle, en tenant compte des contraintes structurelles des acteurs concernés. Cela a été le cas, par exemple, ces deux dernières années lors de la réforme des délais de paiements, et des années plus tôt avec l’entrée en vigueur de la télédéclaration des taxes et des impôts.

Souvent aussi, les grandes entreprises sont les premières assujetties aux nouveaux dispositifs mis en place, en raison de leurs grandes capacités techniques, financières et organisationnelles qui leur permettent de se conformer rapidement aux nouvelles règles. Suivent, ensuite, toujours en prenant en compte leur taille et leur niveau de chiffres d’affaires, les entreprises à taille intermédiaire, puis les PME et TPE. En privilégiant cette logique de progressivité, l’administration s’assure une pleine intégration des nouveaux standards et mécanismes en donnant à chaque groupe d’acteurs la possibilité, et donc plus de marges de manœuvre, pour s’adapter progressivement au changement introduit, aussi profond soit-il.

Il est fort à parier que la même démarche graduelle sera reconduite en 2026 pour le déploiement de la facturation électronique au Maroc. Toutefois, grandes ou petites, toutes les entreprises qui ne feront pas l’effort d’anticiper la dynamique risquent d’être submergées par la vague, tant les implications du passage à la facturation électronique sont nombreuses et conséquentes.

Défis techniques et technologiques

La première implication est naturellement d’ordre technique. Une facture électronique n’est pas une facture dématérialisée, un PDF qu’on dépose sur une plateforme digitale ou qu’on envoie par mail. Une facture électronique est une facture dont tout le cycle de vie est électronique, de sa création et préparation à son archivage, en passant par son émission, son envoi, sa validation et sa réception (ou inversement). C’est un mode de facturation qui nécessite donc plus qu’un ordinateur : les entreprises vont devoir investir pour se doter de logiciels informatiques qui éditent ce type de facture. Et pas n’importe quel logiciel, puisqu’il faut veiller à ce la solution choisie soit adaptée aux exigences techniques de la plateforme digitale mise en place par l’administration fiscale. Cette dernière exigera, effectivement, le respect d’un format donné, structuré, standardisé, adopté par tous, pour assurer l’interopérabilité des différents systèmes informatiques qui échangent entre eux et vis-à-vis d’elle.

Autre enjeu technique à ne pas négliger, aussi bien par l’administration que par les entreprises : le flux de données. Si les déclarations de délais de paiement ou le télépaiement des taxes et impôts se font ainsi de manière ponctuelle, la facturation électronique entraîne, elle, un flux de données en continu. À plus forte raison si le modèle « Clearance » est choisi. Dans ce cas, si chaque facture émise doit d’abord être validée par l’administration fiscale avant son envoi au client, les échanges de données risquent d’être gigantesques. L’infrastructure mise en place par la DGI devra ainsi être robuste pour être en mesure de prendre en charge un volume conséquent de données.

Côté entreprise, c’est plus la sécurité des données que leur quantité qui doit être prise en compte et garantie. En éditant ou en recevant des factures électroniques, les entreprises n’échangent pas seulement des montants, elles collectent également des informations confidentielles sur leurs clients et fournisseurs ; des données sensibles qu’elles devront s’engager à protéger, en en contrôlant l’accès et sécurisant le stockage de manière stricte pour éviter toute perte ou fuite d’informations qui risqueraient d’être dommageables.

Un changement de culture

À certains égards, l’exigence de sécurisation des données n’est pas qu’une question technique, c’est également un enjeu culturel qui renvoie aux habitudes et comportements des personnes ayant accès aux données confidentielles. Bien que techniquement sécurisées, les données n’en sont pas moins manipulées par des ressources humaines que leur entreprise devra sensibiliser et former pour adopter les meilleures pratiques en matière de cybersécurité.

Ce changement de culture ne concerne pas, d’ailleurs, que le seul aspect technologique. Considérée dans sa dimension technique, la facturation électronique pourrait, certes, représenter un réel bouleversement des habitudes et pratiques en vigueur au sein des entreprises, mais appréciée à l’échelle humaine ou au niveau organisationnel, il ne serait pas exagéré de parler de véritable transformation.

Pour réussir son intégration par l’ensemble des collaborateurs concernés, une entreprise ne pourra se contenter seulement d’une campagne de communication ou d’actions de sensibilisation sur les modalités et les vertus de la facturation électronique, elle devra également envisager des plans de formation adaptés à la nature du périmètre de chacun, voire, dans le cas des grandes entreprises, des plans de conduite de changement, puisque différentes directions et entités pourraient être concernées, directement ou indirectement, par les changements de process induits par l’entrée en vigueur de la facturation électronique. De son côté, l’administration fiscale, qui accompagnera très certainement le déploiement de sa prochaine plateforme digitale par un plan de formation de ses agents, devra s’assurer en outre de la pleine intégration du dispositif au sein des entreprises, notamment celles réticentes ou en bute à des difficultés techniques, financières ou autres.

Techniques, humains, culturels, financiers, organisationnels, quelle que soit la nature des enjeux, l’entrée en vigueur de la facturation électronique au Maroc est une gageure pour l’administration fiscale et les entreprises. Son adoption par les différentes parties prenantes nécessitera à coup sûr des mesures d’accompagnement et une acculturation progressive, dans une logique d’amélioration continue, pour que les défis qu’elle laisse déjà envisager cèdent progressivement la place à l’aubaine qu’elle promet d’être pour la transition numérique de l’économie marocaine.