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Loi 69-21 sur les délais de paiement : Ce qui va changer concrètement pour les entreprises

Cette Loi devrait fluidifier davantage les transactions commerciales et améliorer le climat des affaires. Mais, c’est surtout un nouveau cadre légal qui va soutenir la santé financière des petites et moyennes entreprises en luttant contre les délais de paiements abusifs appliqués par certaines entreprises au détriment de leurs fournisseurs. Explications.

C’est une bonne nouvelle. L’application de la nouvelle loi sur les délais de paiement ne devrait a priori donner aucun casse-tête aux entreprises et opérateurs concernés. D’autant que la plupart d’entre elles, notamment les moyennes et petites entreprises, auront largement le temps de s’en familiariser. L’essentiel à savoir tient finalement en trois points essentiels : l’entrée en vigueur de la loi est progressive, en fonction de la taille de l’entreprise ; les délais de paiements sont de 60 et 120 jours, et peuvent aller jusqu’à 180 jours dans certains cas jugés « exceptionnels » et sous certaines conditions ; et, enfin, toutes les entreprises auxquelles cette loi s’applique doivent s’acquitter d’une déclaration obligatoire – trimestrielle – auprès de la Direction générale des impôts (DGI). On pourrait ajouter, et c’est important à signaler, qu’une batterie de sanctions, pécuniaires dans l’ensemble, est prévue en cas de non-respect de ces nouvelles dispositions.

Une application progressive

Si la question d’une application unilatérale à tous les opérateurs s’est posée, les autorités publiques ont finalement opté pour une application progressive, en trois phases, à commencer par les grands chiffres d’affaires. La Loi 69-21 s’appliquera ainsi, dans un premier temps, aux opérateurs concernés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions de dirhams hors taxes, et ce à partir du mois qui suit la publication de la loi au Bulletin Officiel. Et comme elle l’a été le 15 juin 2023, la loi s’applique ainsi à cette tranche de chiffres d’affaires depuis le 1er juillet dernier.

Le calendrier de l’application graduelle de la loi prévoit ensuite deux autres dates clés. La première, le 1er janvier 2024, où la Loi s’appliquera à la tranche de chiffre d’affaires comprise entre 10 et 50 millions de dirhams hors taxes. La seconde, et dernière date, est le 1er janvier 2025 et concernera les chiffres d’affaires supérieurs à 2 millions de dirhams hors taxes mais inférieurs à 10 millions de dirhams hors taxes.

Soutenir la viabilité financière

Dans l’esprit du législateur, la progressivité de l’application de la Loi tient compte du poids des entreprises et est motivée par la volonté de soutenir la viabilité financière des petites et moyennes entreprises. L’idée est de commencer à appliquer la loi aux grandes entreprises (clients) qui, en se conformant aux nouvelles réglementations, mettront à jour leurs paiements, ce qui aura nécessairement des retombées positives sur la trésorerie des moyennes et petites entreprises (fournisseurs). De leur côté, ces dernières seront assurées d’être payées à temps, ce qui leur permettra de maintenir les emplois et de développer davantage d’activités, tout en allant chercher de nouveaux marchés.

Des délais de paiements clairs et flexibles

La précédente loi relative au délai de paiement publiée en 2011 (Loi 32-10 complétant la loi 15-95 formant code du commerce) avait déjà introduit l’obligation de définir une clause sur le délai de paiement à la conclusion de toute transaction commerciale : si le délai est défini au préalable entre les parties, il ne doit pas dépasser 90 jours ; sinon, il est fixé à 60 jours à compter de la réception des marchandises ou d’exécution de la prestation. Cette dernière mention avait son importance : calculer le délai à partir de la réception de la marchandise ou de l’exécution de la prestation a été ces dix dernières années sujet à interprétation dans certaines situations, quand la prestation de service est continue et dure dans le temps, par exemple, ou lors de livraisons partielles, et donc non complètes.

C’est là qu’intervient une des principales nouveautés de la loi 69-21 sur les délais de paiement : ces derniers ne courent plus à partir de la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation mais plutôt à partir de la date d’émission de la facture. Un changement de braquet qui réduit, pour ne pas éliminer, toute tentative de certains de tirer profit de ce flou qui régnait jusqu’alors sur la date de calcul des délais.  

Le souci du détail

Du reste, la Loi 69-21 réaffirme l’obligation de préciser les délais de paiements dans toute transaction réalisée entre commerçants. Elle fait état de trois délais de paiement. Le premier est de 60 jours à compter de la date de facturation lorsque le délai n’est pas convenu entre les parties de la transaction. Par contre, si le délai de paiement est convenu entre les parties, il ne peut dépasser 120 jours à compter de la date de facturation. Cet allongement de 90 jours précédemment à 120 jours désormais est à mettre à l’actif de la prise en considération de la conjoncture économique actuelle, qui peine à reprendre des couleurs depuis la crise sanitaire due à la Covid-19.

Enfin, et à titre « exceptionnel », indique la Loi, un délai de 180 jours peut être envisagé, mais sous un certain nombre de conditions : (1) il ne concernera que certaines entreprises opérant dans des secteurs spécifiques ou saisonniers ; (2) ce délai est consenti par décret et après avis du Conseil de la Concurrence ; (3) l’autorisation de ce délai devrait se baser sur des conventions à conclure entre les organisations professionnelles représentatives des secteurs concernés par cette disposition et des études sectorielles.

Ceci pour les délais de paiements. Pour déterminer la date de facturation, la Loi 69-21 indique que la facture doit être établie au plus tard le dernier jour du mois de la livraison des marchandises ou de l’exécution des prestations de services ou des travaux. Dans le cas où la facture n’est pas émise dans ce délai, le délai de paiement est calculé alors à la fin du mois de livraison des marchandises ou de l’exécution des prestations de services ou des travaux. Toutefois, stipule la Loi dans son article 2-78, « si les deux parties se mettent d’accord pour réaliser des transactions commerciales entre elles de manière récurrente ne dépassant pas un mois, les deux délais précités (…) sont calculés à partir du premier jour du mois suivant ». Et en ce qui concerne les entreprises publiques, le même article dispose que les délais de paiements (60 et 120 jours) sont calculés à compter de la date de constatation de la réalisation de la prestation, en vertu de la réglementation en vigueur.  

Une auto-déclaration obligatoire

Dans l’énoncé même des nouvelles mesures, le législateur a veillé à ce que l’application de la loi 69-21 ne souffre aucun doute. Comment ? En imposant une auto-déclaration réglementaire obligatoire. Autrement dit, ce n’est plus au fournisseur de réclamer directement son dû à son client, c’est le client qui déclare ses délais de paiements contractuels. Ensuite, en intégrant une tierce partie entre le client et son fournisseur : la Direction Générale de Impôts.

Là aussi, le législateur semble s’être soucié du sort des petites et moyennes entreprises dans leur confrontation avec les grandes entreprises. Au vu de l’ancien texte, une PME qui fournit des produits ou des services se retrouvait facilement, et de facto, fragilisée face à une grande entreprise cliente. D’abord, en cas de retard de paiement, c’est à la PME que revenait l’action de réclamer une pénalité de retard. Ce que beaucoup d’entre elles rechignaient à exiger de leurs clients, de peur de mettre à mal leur relation-clientèle ou, pire encore, de perdre à terme son marché. La PME ne peut alors ni exiger le paiement de sa facture, encore moins réclamer des pénalités de retard, ce qui dans certains cas grève considérablement sa trésorerie, et plus globalement, menace sa viabilité financière.

Déclaration électronique

En vertu de la Loi 69-21, chaque entreprise concernée se doit elle-même de déclarer ses délais de paiements à la Direction générale des impôts. Dans le texte, les opérateurs concernés doivent s’acquitter d’une déclaration déposée par voie électronique à la fin du mois qui suit la fin de chaque trimestre. Cette déclaration doit être effectuée même si l’entreprise n’a aucune facture en retard de paiement. La loi 69-21 est très claire sur ce point : « l’absence de factures en retard de paiements n’exempte pas de l’obligation de déclaration ».

Ce caractère stricte de la loi se reflète davantage dans la composition de la déclaration : en plus d’un état détaillé des factures qui dépassent les délais de paiements, cette déclaration électronique trimestrielle doit être visée, c’est-à-dire accompagnée d’une attestation établie par un commissaire aux comptes, quand le chiffre d’affaires de l’opérateur concerné est supérieur ou égal à 50 millions de dirhams, ou par un expert-comptable ou comptable agréé dans le cas d’un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions de dirhams.

Périodique et obligatoire

Le modèle de déclaration à déposer par les entreprises a été fixé par la Direction générale des Impôts. L’entreprise doit y renseigner un certain nombre d’informations, à savoir l’identification de l’entreprise (nom, adresse commerciale, chiffre d’affaires HT au terme de l’exercice comptable, montant total TTC des factures impayées dans les délais, le montant total des factures payées en intégralité ou de manière partielle dans les délais et le montant total des amendes)

En la rendant obligatoire et périodique, en l’occurrence trimestrielle, le législateur s’est, de fait, assuré que la déclaration des délais de paiements entre progressivement dans les mœurs des entreprises. Ainsi, de la même manière qu’elles établissent leur bilan financier annuel (trimestriel ou semestriel pour certaines) ou leur déclaration de TVA trimestrielle, les entreprises vont dorénavant intégrer la déclaration de leurs délais de paiements dans leurs obligations vis-à-vis de l’administration, en l’occurrence ici fiscale. Et pour contrer toute tentative de se soustraire à ces déclarations ou de commettre des fausses déclarations, le législateur a prévu une batterie de sanctions et d’amendes qui devraient a priori contraindre les entreprises à respecter la Loi en étant à jour de leur paiement de facture.