Délais de paiement

Loi 69.21 sur les délais de paiement : À l’origine d’une rupture avec les pratiques du passé

La promulgation de la Loi 69.21 sur les délais de paiements est l’aboutissement d’une réflexion qui a démarré il y a quelques années et que la crise sanitaire du Covid-19 est venue confirmer : soutenir les PME et les TPE est indispensable à la création d’emplois, et plus globalement à la création de richesse, et donc à la croissance. Retour sur les bases d’un changement de paradigme.

Il y plus de cinq années déjà, les pratiques abusives de délais de paiements sont devenues à ce point critique pour la survie des PME et TPE marocaines, que Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en a fait mention lors du discours royal du 20 août 2018. À l’occasion du 65e anniversaire de la révolution du Roi et du Peuple, le Souverain a en effet insisté sur la place importante des jeunes dans le nouveau modèle de développement et énuméré un ensemble de mesures et d’objectifs à atteindre en matière d’emploi des jeunes. Parmi eux, « les administrations publiques, et les collectivités territoriales en particulier, doivent acquitter leur dû aux entreprises. Car tout retard de paiement peut entraîner des cas de faillite et, corrélativement, de nombreuses pertes d’emplois. Or comment prêcher d’exemple alors que les administrations et les institutions de l’État n’honorent pas leurs engagements en la matière ? »

Créé en 2017, suite à la promulgation de la Loi 49.15 modifiant et complétant la loi 15.95 formant Code de commerce, l’Observatoire des délais de paiement s’est saisi de la question et a publié en 2021 son premier rapport sur la situation en la matière au Maroc. Dans ce dernier, l’Observatoire fait état d’une amélioration des délais de paiements dans le secteur public : 18,6 jours en 2021, contre 21,1 jours en 2018, pour l’État et les Collectivités territoriales ; 36,1 jours en 2021 contre 55,9 jours en 2018 pour les Établissements et Entreprises Publics. En ce qui concerne le secteur privé, la situation s’est plutôt dégradée. En se basant sur le dispositif de suivi de l’évolution des délais de paiements mis en place en 2013 par Bank Al Maghrib, le rapport 2021 de l’Observatoire arrivait à la conclusion suivante : « Plus de 40% des entreprise marocaines se font payer dans des délais supérieurs à 90 JCA (jours de chiffre d’affaires, ndlr) et environ un quart d’entre elles règle ses fournisseurs au-delà de 120 JCA ». Plus loin, on pouvait également lire, suite à une analyse des délais de paiements des entreprises entre 2015 et 2018, que « les pratiques de paiement semblent ne pas s’améliorer au cours des dernières années avec une persistance des comportements retardataires ». Les entreprises qui rencontrent les plus de difficultés à recouvrer leur dû sont les TPE.

Retard de paiement : première cause de mortalité des entreprises

En 2022, l’Observatoire publiait sont second rapport, dans la même veine que le premier : amélioration continue des délais de paiements du secteur public et dégradation de la situation dans le secteur privé. Une des premières explications avancées est l’effet négatif de la crise sanitaire sur l’activité des entreprises. Les plus touchées sont les TPE, mais cette fois-ci les PME également : « L’examen des délais de paiement au titre de 2020 laisse indiquer que la TPE reste la catégorie d’entreprises qui attend le plus avant de récupérer ses créances clients, avec une moyenne de 201 JCA, soit 68j de plus qu’en 2019 (…) Pour les délais fournisseurs, et contrairement aux années précédentes, où une certaine stabilité s’était affichée, l’exercice 2020 a connu une dégradation qui a touché les différentes catégorie d’entreprises. Ils ont ainsi connu une hausse de 27j chez les TPE, de 24j chez les PME et de 21j chez les GE (grandes entreprises, ndlr), pour s’établir respectivement à 123 JA, 126 JA et 136 JA », relate le rapport. Soient des délais au-delà des 90 jours maximums en vigueur à respecter par les entreprises.

Dans le même rapport, l’analyse proposée par la CGEM démontrait que « l’allongement des délais de paiement depuis 2010 représente la première cause de mortalité des entreprises. 98% des entreprises défaillantes en 2020 sont des TPE avec des délais clients de 279 jours en 2020. ». À cette même époque, de nombreux cabinets et experts de la place alertent eux-aussi sur la persistance du phénomène des impayés qui met à mal la trésorerie des entreprises, en l’occurrence les TPE et les PME, allant jusqu’à menacer leur survie.

Réaction en chaîne

C’est sur la base de tous ces constats, et en prenant en compte les recommandations de l’Observatoire des délais de paiements et d’autres partenaires institutionnels qu’a commencé la réflexion autour d’une loi qui acte une rupture avec les pratiques du passé, en instituant une évolution des pratiques et un changement des comportements des entreprises marocaines.

Un premier projet de loi est soumis à l’avis du public en décembre 2021. En avril de la même année, le Conseil de la Concurrence émet un avis favorable. Dans ce dernier, l’institution considère dans son préambule « ce chantier comme étant un des leviers de la relance de l’économie national et un élément indispensable pour l’amélioration de l’environnement des affaires. » Le Conseil de la concurrence motive sa position en rappelant que « le fonctionnement concurrentiel d’un marché est largement tributaire de la circulation des flux financiers résultant des dénouements, dans des délais légaux ou convenus, des transactions économiques et commerciales réalisées par les agents économiques. Le non-respect de ces délais est à l’origine de distorsions concurrentielles qui sont à même de remettre en cause les règles du libre jeu de la concurrence libre et loyal ». Et c’est parce que, entre autres, « les pratiques abusives en matière de délais de paiement sont, ainsi susceptibles de fausser le jeu de la concurrence », que l’institution va finir par émettre un avis favorable pour l’adoption de la loi 69.21. Elle indexe toutefois son avis à un certain nombre de conditions, parmi lesquelles l’instauration d’une déclaration électronique globale composée à la fois des factures reçues et émises, la suppression du seuil de 10.000 dirhams établi préalablement pour les factures concernées par les sanctions en cas de retard de paiement, ou encore la mise en place d’une déclaration trimestrielle plutôt qu’annuelle des factures. Autres recommandations du Conseil de la Concurrence, et qui seront reprises ensuite dans la Loi : l’introduction d’un système de sanctions proportionnel au montant des factures et à la taille de l’entreprise et l’exclusion des factures objet de litiges du champ d’application des amendes.

Après consultation du Conseil de la Concurrence, le projet de Loi suivra son parcours législatif usuel : adoption en conseil de gouvernement en septembre 2022, adoption en seconde lecture à la chambre des représentants en avril 2023… Il a fallu moins de deux années pour que la Loi 69.21 voit le jour et soit promulguée, après publication le 15 juin 2023 dans le Bulletin officiel. Depuis, elle ne s’applique qu’aux entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions de dirhams. Les autres suivront en deux fois, en janvier 2024 et janvier 2025, à l’exception des entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 2 millions de dirhams qui sont, elles, exclues du champ d’application de la Loi.