Comment gérer la sollicitation numérique de vos collaborateurs ?
Le paradoxe est grand : 3/4 des cadres continuent à consulter leurs communications professionnelles pendant les week-ends et les vacances, alors même qu’ils sont 82 % à juger cet accès simplifié et permanent négatif. Alors que le droit à la déconnexion des salariés a été instauré depuis janvier 2017, quelles pratiques instaurer au sein de votre entreprise ?
Alors que les entreprises sont rappelées à l’ordre sur les risques, notamment psychosociaux liés au débordement des nouvelles technologies sur la vie privée de leurs salariés, 78 % des cadres continuent à se connecter durant leurs temps de repos, alors même que 82 % considèrent l’hyperconnexion comme négative (1). Il est vrai qu’avec la multiplication des smartphones, devenus un 3e bras pour les générations Y et Z, il devient difficile de ne pas céder à la tentation d’une connexion durant ses pauses. Le travail, devenu collaboratif, impose de plus en plus de réactivité. Déconnecter revient alors à faire preuve d’un manque évident de sérieux, de conscience professionnelle. Si certains sont workaddicts, pour la majorité des cadres (51 %), la raison de cette connexion sur leur temps de repos est de s’assurer qu’il n’y a pas de problème en leur absence. Puis pour 63 % des cadres, l’enjeu est organisationnel : il s’agit d’éviter d’être débordé à leur retour par le traitement des emails : plus de 100 par jour pour 38 % des salariés (2).
Des chartes aux bonnes pratiques de déconnexion
Si depuis janvier 2017, le « droit à la déconnexion des salariés », entré dans le code du travail, est devenu un sujet obligatoire de négociation, 52 % des cadres* affirment que leur entreprise ne s’est pas engagée dans l’application de ce droit. Une proportion qui s’élève à 63 % dans les entreprises de moins de 50 salariés. Car les grandes entreprises se sont pour la plupart déjà lancées dans la signature d’accords et de chartes. « Chez Nexity, nous respectons des règles simples, en ligne avec la politique RH. Nous demandons à tous de ne pas envoyer de mail tard le soir ni le week-end, et à nos équipes commerciales, souvent en déplacement, de couper leurs téléphones pro après le travail », témoigne Cécile Baudoux, directrice Région Rhône Alpes Centre Est. La solution la plus simple consiste à rappeler l’absence d’obligation de répondre à la messagerie, le soir, le week-end et pendant les congés, ou indiquer par des messages déculpabilisateurs : « Mon mail n’appelle pas de réponse immédiate ». D’autres sociétés françaises ont décidé de mettre les serveurs en veille de 18h à 7h, ainsi que le week-end tandis que PriceMinister, Canon ou Sodexho ont été jusqu’à décréter une « journée sans mails » une fois par mois. Autant de mesures qui visent à sensibiliser les salariés sur les alternatives et renforcer la convivialité et les échanges directs.
L’exemple doit venir d’en haut
Pour Cécile Baudoux, l’hyperconnexion des plus jeunes n’est « pas un sujet » : « la generation Y sait très bien couper après le travail et passer sur facebook ou à d’autres sollicitations, souvent numériques, mais personnelles ! » témoigne la directrice qui aspire à donner l’exemple : « S’il peut m’arriver de rédiger des emails pendant mes temps de repos, je les enregistre en mode brouillon pour ne les envoyer que le lundi matin ». Le groupe Nexity a veillé à regrouper les informations via des newsletters, afin de ne pas surcharger les messageries. « Les managers ont un rôle d’exemplarité sur cette liberté à se déconnecter. Il est nécessaire de dire qu’à certains moments, on a besoin d’une heure, ou plus, nécessaire pour se concentrer sur une tâche particulière », confirme Caroline Cuny, titulaire d’une thèse en psychologie cognitive, qui vient de publier en ligne un « Guide des bonnes pratiques pour lutter contre la sursollicitation numérique ». Car face à la multiplication des canaux de sollicitation, la doctorante rappelle que le cerveau n’est pas multi-tâche : « La sursollicitation numérique est une des causes du burn-out, au sens d’épuisement cognitif, de surcharge mentale. A force de prendre de plus en plus de tâches complexes, le cerveau ne parvient plus à interpréter aussi vite les informations, ou les interprète mal ». Dans les deux cas, l’impact est négatif pour la santé du salarié… comme de l’entreprise.
Ménager des pauses pour éviter le « burn-out »
Pour y pallier, Caroline Cugny conseille de se ménager des pauses, même de quelques minutes, permettant de régénérer cette charge mentale : « Il faut s’organiser et séquencer ses activités surtout sur un projet important et long : ainsi à chaque tâche terminée, le cerveau se décharge et est satisfait ». Elle conseille de laisser des « temps morts » dans le planning, qui pourra être utilisé pour des urgences professionnelles et évitera de se déconcentrer au milieu d’une activité complexe. « Nous avons mesuré qu’une interruption, quelle qu’elle soit, fait perdre 30 % de temps sur l’activité ». Le collaborateur doit en effet réengager son attention après un coup de fil comme un SMS. « Il faut savoir dire que l’on ne va pas traiter toutes les informations tout de suite, même auprès de ses clients, pour mieux les traiter ensuite ! », ajoute la doctorante qui invite à déculpabiliser : « Les nouvelles technologies permettent de travailler avec son équipe à l’autre bout du monde, d’accéder aux informations en temps réel : c’est excitant pour tout cerveau ! ». La clé est dans la hiérarchisation des tâches, en jouant sur les différents canaux si besoin. « Il ne faut pas confondre la vitesse du flux d’information avec l’urgence d’une réponse à produire ! », conclut-elle. Alors après la lecture de cet article, essayiez de commencer à déconnecter… pour mieux vous reconnecter aux autres !
(1) Sondage Ifop/securex
(2) Selon l’enquête de l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise.
Quelques chiffres clés : L’overdose d’emails
- 5,6 heures/jour : C’est le temps passé à gérer les mails pour les cadres français en 2015 (source Adobe)
- 121/jour : c’est le nombre d’emails reçus en moyenne par un salarié (source : Radicati)
- 150/jour : c’est le nombre de fois qu’un utilisateur consulte en moyenne son smartphone (source : Tmobile)
- 205 milliards : c’est le nombre d’emails envoyés et reçus par jour dans le monde, il augmente de 3 % chaque année (source : Radicati)