Croissance & Stratégie clients

Parole de dirigeants – Comment Deléage, imprimeur numérique événementiel, s’invente un nouveau métier pour rebondir après le choc…

Virginie de Neuville a créé Deléage en 1989. L’entreprise est spécialisée dans l’impression numérique sur-mesure, avec la capacité de travailler tous les formats et tous les supports. Son activité se répartit entre l’événementiel (80 % du chiffre d’affaires) et la signalétique pérenne. La base clients de Deléage est équilibrée entre quelques gros donneurs d’ordres institutionnels et des agences de communication qui lui sous-traitent des projets.
La crise économique et sanitaire frappe l’entreprise d’une vingtaine de collaborateurs dans un contexte de croissance continue. Le coup d’arrêt est brutal mais la dynamique est solide ! Permettra-t-elle de rebondir après le choc du Coronavirus ?

Une perte de 500 000 à 600 000 euros anticipée

Lorsque l’épidémie atteint l’Europe, en février, Virginie de Neuville prend immédiatement trois décisions, à l’intuition, pour protéger sa trésorerie dès les premiers signes d’incertitude :

  • Le report d’un voyage de cohésion de toute l’entreprise au Portugal
  • Le décalage de la date de livraison d’un nouveau camion
  • L’ajournement du remplacement d’une imprimante numérique d’une valeur de 300 000 euros

« Début mars, la situation se tend fortement. Les clients m’appellent les uns après les autres pour m’informer du report ou de l’annulation des événements sur lesquels nous travaillons. Chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles. Nous reportons une partie de la charge sur l’activité signalétique, pour accélérer les livraisons des commandes en cours sur ce segment quand c’est possible. »
Le chiffre d’affaires du mois de mars a représenté les 2/3 de ce que l’entreprise espérait réaliser. Le mois d’avril est très mauvais. Virginie de Neuville anticipe une perte de 500 à 600 000 euros sur l’année 2020.

Une organisation de crise à l’annonce du confinement

Les poseurs, qui n’ont plus de travail, sont placés en activité partielle. L’équipe de production intervient par rotations sur site pour terminer les commandes et entretenir les machines. Le commerce s’installe en télétravail. Les services supports, comptabilité et RH, ont dans un premier temps plus de travail, puisqu’il faut d’une part accélérer au maximum le cycle de facturation/recouvrement et d’autre part prendre en charge l’administration des mesures sociales mises en place.
Les disponibilités forcées sont bien employées. « Un projet, auquel nous consacrions un temps trop faible jusqu’alors, devient prioritaire. Il s’agit de notre nouveau site Internet, fondamental pour poursuivre notre développement. Je mets le plus de monde possible sur la production de pas moins de 1 800 articles, avec l’objectif d’une mise en ligne fin juin. »

Les premières tentatives de diversification n’apportent pas les résultats espérés

Pour rebondir après le choc du Coronavirus, Deléage met très vite sur le marché un support de gel hydro-alcoolique en polystyrène. « C’est une idée que j’ai eue dès le début de la crise, avant même le confinement. Je bats rapidement en retraite quand je constate que mon offre est fraîchement accueillie sur les réseaux, perçue comme opportuniste et malvenue. »
Virginie de Neuville décide alors d’aborder la question d’une offre de rebond avec beaucoup plus d’envergure. « Le 20 mars, je commence à dessiner toute une gamme de produits de distanciation sociale, signalétique, paravent, protections, etc. Mon bureau d’études réalise les projets en 3D. »
Fin mars, une deuxième campagne démarre sur les réseaux sociaux avec 5 produits. La campagne est vue par 200 000 personnes. Hélas, le public n’est toujours pas prêt à entendre ce type de message. « Quelques réactions franchement hostiles me convainquent de mettre un terme à la campagne au bout d’une semaine, alors que j’avais prévu de la faire durer 4 semaines. »

La troisième tentative est heureusement la bonne.

Deléage décide de créer un site marchand en ligne, consacré à cette activité de distanciation sociale. « Nous sortons ce site dédié aux aménagements sanitaires en entreprise en un temps record. Il est prêt le 15 avril. »
Une semaine plus tard, Deléage reçoit sa première commande. La semaine suivante, un véritable courant d’affaire s’instaure. 3 semaines après la mise en ligne, l’entreprise commence à retrouver un niveau d’activité significatif. Le pari de rebondir après le choc du Coronavirus est en passe d’être gagné. « Je reconstitue progressivement mon équipe de production, non sans avoir mis en place des mesures de protection strictes pour protéger mes salariés. »

L’accès aux matières premières constitue rapidement un goulot d’étranglement

L’accueil désormais positif du marché s’accompagne d’un nouveau défi : la pénurie de plexiglas. « J’avais vu venir le problème dès le lancement du site mais j’étais alors incapable de quantifier mes besoins. En même temps, j’étais convaincue qu’il fallait que je prenne le risque si je voulais donner une chance à mon projet de rebond par les aménagements sanitaires. »
Deléage dispose d’un trésor de guerre accumulé depuis des années. L’entreprise se lance dans une quête tous azimuts ! « J’ai décidé de tenter de rafler un maximum de stocks, allant en chercher auprès de fournisseurs inhabituels, jusqu’au Royaume-Uni, et payant cash. Je prends même contact avec des usines en direct ! »

En réponse, Deléage joue la carte de l’agilité

Malgré tout, la fourniture de plexiglas est en grande tension. Certaines usines sont arrêtées et la demande est forte du côté des commerces prioritaires. Le problème s’étend d’ailleurs au carton d’emballage, pour les mêmes raisons. Chez Deléage comme partout ailleurs dans les entreprises, la supply chain est au cœur de la bataille !
« Nous avons arrêté deux mesures pour optimiser notre stock. Approfondir la gamme que nous proposons pour décliner chaque produit dans toutes les épaisseurs de plexiglas. Et pouvoir ainsi substituer une référence à une autre pour utiliser au mieux nos disponibilités. Variabiliser nos prix de vente en fonction du délai de livraison. »

Une nouvelle activité

« Notre métier est d’apporter de la valeur ajoutée et du conseil aux demandes de nos clients. Là, il s’agit de vente de produits normalisés. »
Même si grosso modo les savoir-faire mobilisés à l’atelier sont identiques à ceux de l’activité habituelle de Deléage, le modèle économique est différent. « La pénurie de matières premières nous oblige à acheter trop cher. Le fait de faire payer plus cher quand les délais sont plus courts est symétriquement un facteur d’incertitude du côté du chiffre d’affaires. Nous sommes dans un marché régi par l’offre et la demande ! »
Une autre différence tient au système de distribution. « À côté de la vente en ligne – qui n’est pas nouvelle pour nous – je propose à mes clients agences de distribuer mes offres en leur fournissant un catalogue en marque blanche. »
Deléage a aussi à apprendre à gérer des clients de tailles et de profils très différents de ceux de ses clients directs habituels. « Les premières demandes générées par notre site de vente en ligne émanent de petits acteurs, avec lesquels nous n’avons pas forcément l’habitude de travailler, ni eux avec nous d’ailleurs. J’ai parfois l’impression d’avoir basculé dans l’épicerie ! »

Des racines communes avec l’activité de production sur-mesure

Progressivement, Deléage s’efforce de se recentrer vers de plus gros marchés, plus proches de son activité habituelle. Avec lequel les passerelles sont possibles. « Nous appliquons une démarche qui nous permet de déceler le client derrière le client. En clair, nous profitons de ces nouveaux contacts pour faire valoir notre capacité à proposer de l’impression sur-mesure. »
Le deuxième aspect de cette nouvelle activité qui la relie à l’ancienne, c’est l’investissement qualitatif auquel Deléage a consenti. « Produits normalisés, certes, mais présentés dans un environnement valorisant, avec un site marchand ergonomique et des fiches explicatives précises et exhaustives. Nous ne lâchons rien sur l’expérience client ! » Rebondir après le choc du Cornavirus n’interdit pas la cohérence !

Un essai qui doit encore être transformé

« Concevoir des équipements reproductibles, courir après les matériaux, consentir des marges faibles et passer du temps à vendre des solutions sans valeur ajoutée de conseil est pour tout dire épuisant et franchement éloigné de notre culture.
Mais nous avons décidé de nous donner les moyens de percer sur ce segment, car je crois que c’est un marché d’avenir. En effet, l’épidémie sera encore là demain, et après celle-ci une autre. Nous sommes sur un nouveau marché d’hygiène collective et c’est excitant de le défricher. Je suis persuadée que nous saurons stabiliser l’activité dans quelques mois, avec le rétablissement des circuits d’approvisionnement et la fin de l’urgence des besoins. »

Un rebond qui est aussi personnel

De toute évidence, la vie collective en entreprise ne sera plus celle d’avant. Elle aura perdu de son insouciance pour intégrer un besoin de sécurité sanitaire inédit.
« Nous imaginons pouvoir trouver notre place dans ce contexte, avec une offre pensée dès sa conception pour résister au temps et pour valoriser l’image de l’entreprise. Si nous parvenons à cela, nous aurons réussi le pari de créer une autre entreprise, avec une équipe dédiée et des savoir-faire de commercialisation, de fabrication et de pose particuliers.
Mais le pari sera réellement gagné si nous conservons notre identité et notre cohérence. C’est mon devoir d’y veiller ! »
À titre personnel, Virginie de Neuville, qui avait entrepris de se désengager de l’activité opérationnelle de Deléage quelques mois avant le début de la crise, se découvre un nouveau challenge. « Mon entreprise a perdu la moitié de sa valeur mais nous sommes repartis dans une nouvelle page à écrire. Nos fondamentaux sont solides et peut-être même renforcés. Je pense ici à notre cohésion et à notre force collective. Le défi de devoir rebondir très vite et ensemble après le choc du Coronavirus nous a encore plus soudés. »
Pour consolider encore plus ce nouveau départ, Deléage a choisi d’utiliser les aides publiques concernant la formation. « Les mesures d’accompagnement m’ont permis de mettre en place un coaching individuel et collectif pour l’ensemble de l’entreprise et de ses collaborateurs. »

Pour découvrir une autre illustration de la capacité des entreprises à rebondir, lisez le témoignage d’Anima Vinum, maison de vins de terroirs.

Témoignage recueilli en mai 2020