Légal & Réglementation

Rupture de contrat : quelles évolutions légales dans le nouveau contexte sanitaire ?

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L’épidémie de coronavirus impacte fortement l’activité des entreprises. Alors qu’elles ont tenté de conserver intactes leurs relations clients, il arrive que l’amortissement par leur trésorerie d’une ou de plusieurs annulations de contrats ne soient pas possibles. La crise sanitaire a déjà imposé une accélération du recouvrement des factures, mais en cas de contrat rompu ou partiellement respecté, les choses se compliquent.. Dommages et intérêts ou encore remboursement, quelles sont les possibilités contractuelles qui s’offrent aux entreprises.

D’un point de vue contractuel, l’épidémie de Covid-19 constitue-t-elle un cas de force majeure ?

Comme le rappelle l’Article 1218 du Code civil, « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur »¹. À première vue, l’épidémie de Covid-19 semble donc répondre aux conditions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, nécessaires pour que le cas de force majeure soit retenu.

Mais bien que le gouvernement – en la personne du Ministre de l’Économie – ait annoncé que le Covid-19 constituait un cas de force majeure pour les entreprises, seuls les marchés publics de l’État semblent, pour le moment, pouvoir échapper à l’inapplication de pénalités en cas de retard d’exécution². Les entreprises privées qui invoquent ce cas de force majeure s’exposent d’ailleurs à des poursuites. C’est par exemple le cas des CDD rompus, relayé par le Parisien.

Pour les contrats privés, il est donc nécessaire d’attendre que les pouvoirs publics et juridiques se penchent sur le sujet. Toutefois, il est bon de rappeler qu’une épidémie – aussi grave soit-elle – n’est pas automatiquement un cas de force majeure. À titre d’exemple, le virus du chikungunya en 2006 ou, plus récemment, la grippe H1N1 n’ont pas été considérés comme des crises sanitaires constitutives d’événements de force majeure.

Dans l’attente que la question soit tranchée, les entreprises doivent donc continuer leur activité et respecter leurs obligations contractuelles, au risque de voir leur responsabilité engagée.

Est-il possible d’annuler un contrat en raison de la crise sanitaire ?

Si l’épidémie de Covid-19 est considérée comme un cas de force majeure, les entreprises pourront s’exonérer de toute responsabilité en cas de non respect de leurs obligations contractuelles. Mais, même dans cette hypothèse, trois éléments doivent être regardés avec attention.

  1. La nature de l’impossibilité : si l’impossibilité d’exécuter un contrat est temporaire, le contrat sera seulement suspendu car il ne peut pas être « actuellement » honoré. C’est le cas par exemple de travaux, de l’organisation d’événements ou de la location d’une salle. En revanche, si l’empêchement d’exécuter le contrat est définitif, celui-ci sera annulé. Cela ne peut cependant se produire que si le retard d’exécution justifie la résolution du contrat.
  2. La temporalité : les contrats signés avant la propagation du virus sont plus susceptibles de pouvoir invoquer le cas de force majeure – s’il est retenu – car les critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité sont réunis. En revanche, la condition d’imprévisibilité a beaucoup moins de chance d’être retenue pour un contrat signé plus récemment (car le risque était déjà connu), empêchant d’invoquer un cas de force majeure.
  3. Les clauses au contrat : même si la crise sanitaire est considérée comme un cas de force majeure, les contrats peuvent prévoir des conditions spécifiques en cas de survenue d’un risque sanitaire. Celles-ci peuvent notamment définir les situations pouvant être considérées comme un cas de force majeure, les possibilités d’inexécution du contrat et les pénalités qui en résultent. Avant d’agir, il est donc primordial de se reporter aux clauses contractuelles.

À noter que si le cas de force majeure est retenu, les entreprises pourront donc – seulement dans certains cas et sous certaines conditions – annuler ou suspendre leurs obligations contractuelles. En revanche, cela leur sera impossible si l’épidémie n’est pas considérée comme constituant un cas de force majeure.

Est-il possible de demander un dédommagement en cas de non respect d’un contrat ?

Si le Covid-19 est considéré comme un cas de force majeure, l’entreprise n’exécutant pas ses obligations contractuelles est dégagée de toute responsabilité. Quel que soit le préjudice de ses clients, ces derniers ne pourront pas prétendre à des dommages et intérêts.

En revanche, l’entreprise est susceptible de devoir payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi si elle n’exécute pas le contrat et que le cas de force majeure n’est pas retenu, ou que l’épidémie est exclue contractuellement de la notion de force majeure.

Le Covid-19 peut-il justifier des retards de livraison d’un fournisseur ?

S’il est reconnu que l’épidémie est imprévisible et irrésistible, le cas de force majeure permettra au fournisseur de justifier tout retard de livraison. Exonéré de toute responsabilité, il ne pourra lui être exigé des pénalités : sauf clauses contradictoires prévues au contrat.

Dans le cas contraire, le fournisseur ne pourra pas invoquer le cas de force majeure pour justifier d’un retard de livraison. Il pourra donc être tenu de payer des dommages et intérêts au titre du préjudice subi par ses clients.

Est-il obligatoire de rembourser le prix d’une vente ou d’une prestation annulée en raison de la crise sanitaire ?

Que l’épidémie de Covid-19 soit reconnue ou non comme constituant un cas de force majeure, le professionnel a, dans tous les cas, l’obligation de rembourser ses clients en cas d’annulation du contrat de vente ou de prestation. Des dommages et intérêts pourront même lui être demandés si le cas de force majeure n’est pas reconnu.

Un fournisseur positif au Covid-19 peut-il annuler un contrat ?

Si un fournisseur est personnellement affecté par le Covid-19, il est fort probable que la maladie soit considérée comme un cas de force majeure pouvant justifier le non respect de ses obligations contractuelles. Bien que la jurisprudence ait déjà statué positivement à ce sujet, il convient cependant aux juges d’apprécier si les effets de cette impossibilité auraient pu être évités par des mesures appropriées.

L’entreprise n’ayant pas exécuté une prestation doit-elle rembourser les acomptes perçus ?

Que le cas de force majeure soit retenu ou non, le prestataire n’est pas autorisé à conserver le prix d’un bien non livré ou d’une prestation non exécutée. Il aura donc l’obligation de rembourser les acomptes perçus, accompagnés éventuellement d’indemnités si l’épidémie n’est pas considérée comme un cas de force majeure.

En revanche, si l’inexécution est seulement partielle, il sera nécessaire de calculer le prix au prorata de ce qui a déjà été livré ou réalisé.

Est-il possible de faire jouer son contrat d’assurance en raison de la perte d’exploitation ?

Selon une étude publiée par l’AMRAE, 70 % des entreprises interrogées disposent d’une garantie des pertes d’exploitation ne couvrant que le dommage matériel. Pour elles, aucune prise en charge au titre de l’épidémie ne saurait être invoquée.

Pour les 30 % d’entreprises restantes, la prise en charge de la perte d’exploitation due à la crise sanitaire ne semble pas certaine. Deux raisons l’expliquent :

  • seuls les contrats garantissant les pertes liées à une épidémie ou une pandémie peuvent couvrir la situation actuelle ;
  • parmi ces contrats, certaines maladies – dont le Covid-19 – peuvent être exclues contractuellement, ce qui a d’ailleurs été souvent le cas suite à l’apparition du SRAS en 2002.

Les possibilités d’être indemnisé par son assureur ne vont donc concerner – a priori – qu’un nombre très faible d’entreprises. Quant à celles qui souhaiteraient souscrire, aujourd’hui, une assurance, les garanties ne pourraient s’appliquer que pour les épidémies futures, et non au risque actuel.

¹ Article 1218 du Code civil – Legifrance
² La passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire – Ministère de l’Économie et des Finances – 2020

Autres sources :
ec.europa.eu
Cour d’appel de Besançon, 8 janvier 2014, n° 13/01799
Article 1231-1 du Code civil – Legifrance
Article 1610 du Code civil – Legifrance
Cour de Cassation, Assemblée plénière, du 14 avril 2006
Coronavirus : les entreprises sont-elles assurées en cas de pertes d’exploitation ? – Les Echos – 2020
Code des assurances